Paul Bouchet

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Paul est né à Saint-Étienne le 2 août 1924. Il est décédé le 25 mars 2019 à Saint-Just-sur-Loire (Loire) et a été inhumé dans le parc du château de Goutelas-en-Forez (Marcoux, Loire).

Engagé très jeune dans la Résistance, il s’inscrit après la guerre à la faculté de droit de Lyon où il devient l’un des pionniers du syndicalisme étudiant et l’un des constructeurs de l’UNEF refondée par la Charte de Grenoble de 1946.

A la fin de ses études, il devient avocat au barreau de Lyon où il se spécialise en droit du travail, au service de salariés et d’organisations syndicales ou de comités d’entreprise animés par ces dernières. Il s’engage aussi dans la défense de militants anticolonialistes et de combattants pour l’indépendance de leur pays (notamment des militants algériens). Élu bâtonnier de 1980 à 1982, il a le souci d’amener les avocats à moderniser leur exercice professionnel, dans une démarche d’ouverture aux acteurs de la société civile.

Après la fin de son bâtonnat, Paul Bouchet a été membre de la commission de réforme du code pénal (1981-1986), constituée par le garde des sceaux Robert Badinter : c’est là qu’il entama avec Mireille Delmas-Marty, qui en était également membre, un cheminement intellectuel, spirituel et personnel qui les conduisit à s’unir au soir de leur vie. Il fut aussi président du Fonds d’action sociale et conseiller spécial de la ministre des Affaires sociales Georgina Dufoix.

Il rejoint le Conseil d’État au tour extérieur en juillet 1985. Son rapport de 1991 sur l’accès au droit et à la justice a préparé l’importante réforme du remplacement du système « d’assistance juridique » en un droit pour les justiciables « l’aide juridictionnelle ». Il présida d’ailleurs le Conseil national de l’aide juridique de janvier 1993, et ce pour trois ans. De 1991 à 1997, il fut également président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) chargée du contrôle des écoutes téléphoniques administratives.

Dans le même temps, il présida la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) pendant sept ans, d’avril 1989 à mars 1996, où il n’eut de cesse de promouvoir par des mesures concrètes l’universalité et l’effectivité des droits de l’homme, à travers la lutte contre le racisme et la xénophobie et contre toutes les formes d’exclusion. Ainsi, en 1992, pour la première fois dans le rapport annuel « La lutte contre le racisme et la xénophobie » est intégré le rapport « Grande pauvreté et Droits de l’Homme ». Il contribua aussi au renforcement de l’indépendance de l’institution et à la mise en place du réseau international des « institutions nationales des droits de l’homme », à la suite de la conférence organisée en 1991 au Centre Kléber.

Après son départ de la présidence de la CNCDH, il s’engage à ATD Quart-monde dont il deviendra en 1998, après Geneviève de Gaulle-Anthonioz, le président, présidence qu’il quittera en 2004 sans cesser son activité, puisqu’il continuera à siéger au Haut comité pour le logement des personnes défavorisées et au Haut conseil de la coopération internationale. Il sera l’initiateur de la loi du 21 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et restera mobilisé pour sa bonne application jusqu’à ses derniers jours.

Dans divers conflits, il fut désigné comme médiateur : 1981 aux Minguettes ; 1986 à la prison de Bois d’Arcy ; 1986 pour les couples mixtes franco-algériens ; 1989 aux chantiers de l’Atlantique à Saint Nazaire ; 1996 auprès des étrangers sans-papiers de Saint-Bernard. Homme de conviction, il a été tout au long de sa vie un infatigable combattant des droits de l’Homme, pour la liberté, pour l’accès de tous au droit et à la justice et pour le respect effectif de l’égale dignité de tous les êtres humains.

Son œuvre singulière, sur le plan culturel, fut de lancer, fin 1961, l’impensable entreprise de relèvement de la ruine du Château de Goutelas, haut-lieu de la Renaissance en Forez, au pays de L’Astrée. Une entreprise animée, non par le simple amour des vieilles pierres, mais par le projet d’édifier un « centre de rencontres interculturelles » grâce au travail commun et bénévole de femmes et d’hommes d’horizons divers. Ce travail fut celui de paysans, d’ouvriers, d’étudiants, pour la plupart engagés dans l’action syndicale, autant que de « travailleurs intellectuels ».

Il mit en mouvement les énergies de chacun pour en faire une communauté d’esprit qui, soixante ans plus tard, conserve toute sa force, reste vivante et qui est désormais reconnue par l’État et l’Union européenne comme Centre Culturel de Rencontre au même titre qu’Ambronay ou l’Abbaye de Fontevraud.

Pour lui, cette aventure représentait : « cette exigence capitale de créer l’amalgame entre les hommes – pour devenir plus fort en humanité, tout comme l’acier devient incassable et inoxydable, grâce à l’amalgame de ses composants – seul à même de faire face aux événements cruciaux de l’histoire, ceux du début des années 1960, comme ceux de ce XXIe siècle » (Mes sept utopies, avec Lucien Duquesne, Les Éditions de l’Atelier, 2010.

 Car le monde qu’il espérait devait être certes plus juste mais également plus beau, de cette beauté qui rime avec bonté. Il craignait qu’un monde seulement plus juste soit un monde de justiciers, un monde glacé. 

Cette quête de la beauté a été constante dans tous les domaines. Dans tous les lieux où il demeurait il recherchait l’harmonie, l’aménagement des espaces le plus juste, les tableaux et les objets les plus accordés, propres à combler sa soif de beauté

C’est la même quête qui l’a amené, tout au long de sa vie, à nouer des amitiés avec nombre d’artistes, représentant après la guerre un souffle nouveau passant sur le monde culturel, ouvrant les esprits à toutes les audaces. Ce fut le cas en musique principalement de Pierre Boulez, en peinture de Bernard Cathelin, pour le cinéma et le théâtre à Lyon de Roger Planchon, Marcel Maréchal, Bernard Chardère. Toutes ces rencontres, bousculant la tradition et les idées reçues, étaient en résonnance avec sa volonté, sur un tout autre plan, de créer du neuf et d’aller vers un monde nouveau.

C’est la même quête qui l’a conduit à créer Goutelas, communauté d’esprit mais aussi célébration de la culture qui brasse, uni, redistribue les cartes, ce lieu incarnant son aspiration permanente à la beauté, dans un esprit de fraternité, chanté par Duke Ellington dans « The Goutelas Suite ».

C’est la même quête qui l’animait lors de son ascension du Vignemale dans les Pyrénées, des montagnes sacrées en Chine ou dans la descente du Grand Fleuve où la beauté s’alliait à la liberté, en écho avec tous ces poèmes qu’il déclamait et dont l’un veille sur lui à Goutelas :« Elle est retrouvée/Quoi ? L’Eternité/C’est la mer mêlée /Au soleil » (A Rimbaud)